Alice au Pays des Merveilles, Maléfique, Cendrillon... Depuis quelques années les studios Disney se sont fait une spécialité de réadapter en "version live" leurs productions animées les plus célèbres. Une entreprise couronnée de succès puisque les recettes mondiales de ces remakes s'étendent de 500 millions à plus de 1 milliards de dollars. Mais si les deux premières productions avaient su détourner l'œuvre initiale afin d'en apporter une lecture inédite, Cendrillon avait laissé au bal toute originalité. Doit-on dorénavant s'attendre à une prise de risque minimale via de simples retranscriptions du dessin-animé vers le film d'acteurs ? Le Livre de la Jungle en prend également le chemin...


 

C'est un fait, cette version du Livre de la Jungle est davantage un remake du long-métrage animé de 1967 qu'une nouvelle adaptation des nouvelles centenaires de Rudyard Kipling. Il s'agit, en l'occurrence, de la transposition la plus fidèle qu'il a été donné de voir pour le moment, plus encore que Cendrillon qui s'accordait déjà relativement peu de fantaisie par rapport au film d'animation. Élevé par une famille de loups, le « petit d’homme » Mowgli n’est désormais plus le bienvenu dans la jungle : le redoutable tigre Shere Khan, qui porte encore les cicatrices de sa confrontation avec les hommes, s’est juré d’éliminer celui qu’il voit comme une menace. Forcé d’abandonner le seul foyer qu’il ait jamais connu, Mowgli entame un extraordinaire périple à la découverte de sa propre identité, avec pour guides Bagheera, une panthère qui se montre un mentor sévère, et Baloo, un ours à l’esprit libre et ouvert. La créativité scénaristique se résume ainsi à la mise en valeur bienvenue de personnages secondaires ou à quelques interludes dont l'intérêt va de la scène coupée dispensable au twist bien amené. Le dénouement est, quant à lui, épique.

 

 

Le public sera ainsi peu déconcerté par les versions "live" de ses personnages préférés. Neel Sethi offre une prestation fidèle dans la peau du jeune Mowgli, une démonstration tout-à-fait convaincante pour une première performance au cinéma et encourageante pour l'avenir, malgré quelques hésitations bienveillantes. Le reste du casting vocal touche à la perfection. Ben Kingsley offre sa voix calme et profonde à la panthère noire Bagheera. Bill Murray développe un Baloo non moins crédible. Idris Elba sublime Shere Khan, plus terrifiant que jamais. Les séquences de Scarlett Johansson dans les écailles d'un Kaa féminisé et de Christopher Walken sur le trône d'un Roi Louie tyrannique apportent quelques nouveautés bienvenues. Enfin, les loups Akela et Rashka, interprétés par Giancarlo Esposito et Lupita Nyong'o, bénéficient d'une mise en valeur réjouissante et du développement qui leur manquait dans le film d'animation.

 

 

L'incroyable beauté visuelle du film et son étonnante capacité à dépayser compense son manque de bravoure scénaristique. Bien que le don de la parole accordé à ces animaux de synthèse nécessite étrangement un peu plus de temps d'adaptation que sur de l'animation traditionnelle, force est de souligner le rigoureux travail anatomique, cinématique et de texture réalisé pour donner vie au bestiaire du Livre de la Jungle. Le choix du gigantisme atténue néanmoins la crédibilité de certaines espèces. Et que dire des décors, grandioses, autant de terrains de jeu pour le réalisateur qui joue tantôt avec des couleurs chatoyantes ou plus ténébreuses. Car, de façon inattendue mais non moins intéressante, cette version de Jon Favreau est clairement plus sombre que celle de ses illustres prédécesseurs de 1967. La dure loi de la jungle est développée autant sur le fond que sur la forme, un beau coup de maitre pour celui qui a lancé avec brio la carrière d'Iron Man au cinéma.

 

 

Jon Favreau est un grand amateur du dernier chef-d'œuvre du grand Walt Disney et a construit son film autour de sa légende. Les clins d'œil et hommages au film de 1967 s'enchainent du tout début à la toute fin, en particulier via la musique, dont la partition culte résonne comme un écho nostalgique. En particulier, le public retrouvera avec un certain plaisir deux des chansons phares de l'œuvre originale, bien que leur incrustation manque du naturel de l'animation. Coup marketing ou réel attachement artistique ?


Le Livre de la Jungle est un véritable cas de conscience : où s'arrête l'hommage et où commence la copie ? En réalité, tout dans cette nouvelle adaptation du roman de Rudyard Kipling inspire la réussite, que ce soient les somptueuses images de cette jungle luxuriante et ses habitants, ou la grande qualité des performances vocales. Mais ce voile tissé de technologie et d'artistes de renom suffit-il à palier le manque de risque ? car en réutilisant tous les éléments fondamentaux d'un chef d'œuvre établi, le film pouvait-il réellement se planter ? Vaut-il mieux coller à l'œuvre animée d'origine au risque de n'y trouver aucune stimulation scénaristique, ou vaut-il mieux s'en détourner au risque de dérouter le public par quelques sacrilèges ? Car après tout... "il en faut peu pour être heureux" !


 

Quelques heures avant la première parisienne du film, une partie du casting vocal français du Livre de la Jungle ainsi que son réalisateur ont répondu aux questions de quelques journalistes et blogueurs dans un palace parisien. Une rencontre en petit comité avec Leila Bekhti, Lambert Wilson et Jon Favreau très enrichissante à laquelle nous avons participé et dont voici le résumé :

 

 

Lambert Wilson n'en est pas à sa première expérience de doublage pour une production Disney puisqu'il a prêté sa voix au personnage de Finn McMissile dans Cars 2. L'expérience est tout à fait différente pour Le Livre de la Jungle puisque l'acteur français double Baloo, interprété par l'impressionnant Bill Murray dans la version originale. Lambert Wilson était ravi d'interpréter ce  personnage d'une couleur incroyable dont le ton varie en fonction des scènes (chez les singes, lors des combats...). Il aimerait ainsi pouvoir interpréter un jour un personnage humain avec les même variétés de jeux. Ce Baloo est moins expressif à l’écran que dans le dessin animé donc tout devait se faire sur la voix.  L'expérience est néanmoins différente que pour le doublage d'un long-métrage animé traditionnel car il fallait pour Le Livre de la Jungle poser sa voix de façon réelle, sans trop la modifier. L'acteur confesse s'être glissé dans le rôle du personnage en s'attachant à conserver la vision du réalisateur et donc en s'approchant le plus possible de l'interprétation de Murray. Contre toute attente, ce dernier n'a pas utilisé la grosse voix de l'ours traditionnel mais se lâche complètement pour la reprise de « Il en Faut peu Pour Être Heureux ». Lambert Wilson a effectué un travail minutieux pour s'approprier la mélodie, la chanson étant très parlée, sans cliché ni stylisation. Le ton n'était ainsi pas évident à trouver. Lambert Wilson conçoit l'existence de ce remake pour offrir une vision plus moderne du Livre de la Jungle car le monde a changé. En effet, le film de 2016 s'adresse davantage aux adolescents et adultes car il est plus sombre et plus violent. Le rapport avec la jungle et l'humain est également différent. 

 

 

 

Leila Bekhti a adoré le personnage de Kaa qui est mythique. L'actrice, découverte dans le film Tout Ce Qui Brille, était surprise de devoir interpréter ce serpent mâle dans le dessin animé original et avoue avec humour ne pas « avoir la même voix que Roger Carel ». Faisant abstraction de ce détail,  Leila a aimé l’expérience en apportant à Kaa une voix envoûtante, sensuelle et presque maternelle. Elle s'est beaucoup aidée de l'interprétation de Scarlett Johansson pour cela. L'actrice trouve que le doublage est un lourd travail car on ne peut utiliser son corps et sa gestuelle. La jeune femme confesse avoir déjà été très émue par des œuvres Disney mais pas particulièrement pLe Livre de la Jungle dans son enfance. Étonnamment, elle été très sensible à la version de 2016, notamment par la relation entre Mowgli et sa mère louve.

 

Au tour de Jon Favreau de nous donner ses impressions sur le film. La principale difficulté a été de trouver le ton juste entre le dessin animé de 1967 qui était un musical destiné aux enfant et le roman, plus sombre, destiné aux adultes. S'agissant d'un film live, Jon Favreau souhaitait faire de la version 2016 un film pour tout le public. Il s'est donc attaché à trouver un équilibre entre musique, humour et d'autres scènes plus sombres, comme c'était le cas des vieux films du vivant de Walt Disney qui pouvaient être très effrayant (notamment Blanche-neige et les Sept Nains ou Pinocchio). Le réalisateur cite notamment Le Roi Lion comme référence moderne pour équilibrer les séquences effrayantes, l'humour et les chansons. Sur le travail digital, le film a été produit suivant différentes étapes avec des techniques qui ont déjà fait leurs preuves : un premier temps de travail d'animation classique, puis de motion capture avec les équipes rodées déjà à l’œuvre pour Avatar, puis le tournage réel avec des acteurs sur fond vert, proche de ce qui a été fait avec Gravity. Le casting vocal bénéficie d'acteurs de renom qui ont été simples à choisir. L'objectif était d'apporter de l’humanité à ces personnages de synthèses.

 

 

A la question s'il souhaite un jour réaliser un vrai dessin-animé, Jon confesse que la limite est de toute façon de plus en plus floue aujourd’hui avec l’avènement des effets spéciaux. Il s'est en tout cas attaché à prendre le meilleur des deux disciplines pour Le Livre de la Jungle. Ce qu'il a appris des films animés, c'est que l'histoire doit être impeccable. En effet, le travail sur le récit doit être très approfondi avant de passer à l'animation car chaque minute est très chère à produire. C'est également le cas pour ce genre de film à effets visuels majeurs alors que dans les films plus traditionnels on bénéficie de davantage de libertés avec possibilité de reshoots à moindre coup.

 

Grande question qui trouve enfin une réponse : pourquoi Kaa est-il devenu une femme ? Jon Favreau précise à juste titre qu'il n'y a aucun personnage féminin dans l’œuvre de 1967 ! Il lui a paru essentiel d'assurer la parité pour moderniser l'histoire : d'ou la transformation de Kaa mais aussi à la louve Raksha dont le personnage a pris de l'épaisseur par rapport au dessin animé. Vient la question de la mode des remakes chez Disney (Cendrillon, La Belle et la Bête...). Le réalisateur révèle que le studio avait l'intention de faire une version plus éloignée du long-métrage d'animation pour se reprocher davantage de l’œuvre de Kipling. Mais Jon Favreau a insisté pour se rapprocher du film de 1967 car il demeure sacré pour sa génération qui connaît par cœur l'histoire et les chansons. Son objectif a donc été de développer l'intrigue mais aussi d'en faire un film destiné à toutes les générations. Ainsi, il garde l'impression d'avoir réussi a trouver un équilibre entre ses deux sources : le film d'animation et le livre original.

 

En conclusion, Jon considère que Le Livre de la Jungle de 1967 n'appartient plus à Disney mais au monde, et qu'il aurait été meurtri si le public trouvait qu'il avait trahi la mémoire du dessin animé.